7 avril CR de l’intervention d’Hélène Bricout

Tentative de compte-rendu inspiré par 

l’intervention d’Hélène Bricout

lors de la journée du 7 avril 2018.

Dès le départ Hélène nous a mis en garde en insistant sur le caractère non abouti de ses réflexions, car elle y travaille encore Depuis un certain temps déjà, des théologiens de différentes branches de la théologie (sacramentaire, morale, exégèse,…) travaillent en revenant aux textes fondateurs pour les considérer avec un regard nouveau, en cohérence avec la tradition de l’Eglise qui doit régulièrement s’interroger pour actualiser au plus juste le message de l’Evangile, bonne nouvelle pour les hommes d’aujourd’hui, comme il l’a été pour ceux d’hier.

Lorsqu’on considère par exemple la théologie du mariage et qu’on cherche à mettre un peu les choses «  à plat », on a l’impression d’une grosse pelote de laine dont on tire un fil emmêlé avec bien d’autres questions. C’est un défi, le travail est complexe, il faut être patient avec l’Eglise, car cela va sans doute interroger aussi notre définition et notre rapport aux autres sacrements.

Dans l’enseignement théologique des siècles précédents, un sacrement était un peu considéré comme une chose. Par exemple le baptême était la porte d’entrée, mais il n’y avait pas de lien organique avec les autres sacrements. Les sacrements ont été compris de manière conceptuelle, comme déconnectés de la vie alors qu’au premier millénaire, les rites importants de la vie de l’Eglise étaient de forme plus souple, et qu’ils se sont transformés en fonction des réalités jusqu’ à l’époque médiévale.

A cette époque, les concepts sont empruntés entre autres à la philosophie grecque et le danger représenté par la réforme de Luther, en durcissant le discours, a stérilisé toute évolution dans la transmission ; la peur de la contagion «  protestante » a un peu fait oublier la souplesse que permettait le travail théologique dans son entreprise de mise à jour de la Tradition.

Le pape François, en proposant une vision plus globale, qui intègre par exemple « la réalité supérieure à l’idée », encourage une reprise de la réflexion moins conceptuelle et plus attentive à l’expérience vécue des personnes.

Par exemple, une théologie du mariage qui serait coupée de la réalité de la vie concrète des gens et qui prônerait un idéal inatteignable, ne permettrait pas à l’Église de remplir sa mission dans le monde. Nous considérons maintenant que la vie chrétienne est un chemin vers Dieu et que les sacrements intègrent peu à peu les croyants à la vie du Christ et  à celle de l’Eglise. Or les outils avec lesquels ont été forgés les sacrements ne sont plus aptes à prendre en compte les défis actuels des hommes et des femmes de notre temps, qu’ils soient croyants, ou mal-croyants. Lorsqu’on donne la primauté à  l’idée sur la réalité, on creuse un fossé de plus en plus grand entre le modèle proposé et la réalité de la vie des personnes qui s’efforcent de donner une réponse courageuse à l’Évangile dans les situations concrètes de leur vie. Pour avancer, il faut comprendre ces blocages, sur quoi ils ont été construits, dans quel contexte culturel ils ont été établis.

Pour le mariage

La question est celle de l’indissolubilité, de son fondement doctrinal et de la discipline qui en découle. Déjà avant le synode, certaines figures avaient estimé que changer la discipline, revenait à changer la doctrine. Clairement, « le fait d’admettre des divorcés-remariés à la communion, est en contradiction avec la qualité essentielle de l’union matrimoniale qui est son indissolubilité ». Dans cette logique, le mariage entre deux baptisés représente concrètement l’union du Christ et de l’Eglise et donc de manière « essentielle », il en a les qualités dont la fidélité et l’indissolubilité, indépendamment de la réalité concrète de la vie des personnes. Considérée ainsi, l’union ne peut être reconnue comme rompue, même par le divorce, et en cas de remariage, il n’y a aucun discernement possible sur l’accès aux sacrements.

Présenter l’indissolubilité comme un don qui nous est fait et une vocation, plutôt que comme un joug à porter et une obligation, permet d’inclure dans la réflexion la réalité de l’échec de la relation. L’union de l’homme et de femme étant considérée comme une image imparfaite de l’amour du Christ pour l’Église, comme un reflet, son échec n’altère en rien cette divine alliance lorsqu’elle est amenée à se rompre. Dans notre société où la réussite personnelle est tellement mise en avant, et où l’échec du mariage ou de la vie professionnelle est stigmatisant, il est urgent d’intégrer le potentiel de résurrection de tout échec dans une théologie du mariage. Sans doute une vision du mariage s’appuyant sur le terme biblique d’Alliance, pourrait mieux prendre en compte les nouvelles réalités de nos situations matrimoniales. La valeur eschatologique du sacrement de mariage, permet de considérer chaque couple en progression vers un amour plus ressemblant à celui du Christ, mais également les échecs dus à la fragilité des êtres humains en proposant sans cesse un itinéraire de miséricorde qui est marqué par la grâce de la résurrection. Ainsi, sans nier le caractère de rupture d’alliance que constitue le divorce, le pape François insiste sur la possibilité pour ceux qui ont reconstruit une nouvelle union de toujours viser «  le bien possible » dans leur nouvelle situation.

Le sacrement de la réconciliation.

Dans l’histoire de ce sacrement, il y a eu beaucoup de chapitres différents. D’un sacrement qui ne pouvait être reçu qu’une seule fois, et que l’on a fini par vouloir recevoir le plus tard possible, à un sacrement qui pouvait être réitéré autant de fois que nécessaire, l’évolution a été considérable. Il s’est longtemps appelé sacrement de « pénitence » ; aujourd’hui le Rituel est intitulé « Célébrer la pénitence et la réconciliation ».

Pourquoi ce sacrement ne peut-il être donné ?

Le code de droit canonique au numéro 915 précise que  « les excommuniés et les interdits, après l’infliction ou déclaration de leur peine, et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion ». La question est donc de savoir si  la situation de nouvelle union après un divorce met les personnes en situation  obstinée de péché grave. Oui, répondent ceux qui qualifient d’ « adultère » la situation de nouvelle union. Or dans la compréhension courante, l’adultère est la situation d’une personne qui entretient une double vie souvent secrète, ce qui ne peut être comparé à la situation d’une nouvelle union engagée en couple et souvent scellé par un mariage civil. Pourtant c’est bien le remariage qui est assimilé à un « péché grave et persistant », alors que pour les personnes qui ont vécu un divorce, c’est bien au moment de celui-ci que des « manquements », des fautes, des « situations de rupture », ont pu se produire, blessant les deux conjoints, les enfants, les familles. C’est clairement le divorce qui rompt le lien et pourtant ce n’est pas cette situation qui empêche de recevoir les sacrements, puisque déjà le pape Jean-Paul II invitait les personnes divorcées à se nourrir de la communion ! Qu’est-ce qui blesse la communion ecclésiale au point de considérer cette situation de remariage comme un «  péché grave » ? C’est que ce retour aux sacrements, notamment l’eucharistie, nierait en quelque sorte l’indissolubilité du mariage et causerait scandale. Mais pour une forte proportion de chrétiens en occident (de l’Ouest ), c’est plutôt l’absence des baptisés « divorcés-remariés » à la communion qui blesse la communauté. «  Si un membre du corps du Christ souffre, c’est tout le corps qui partage sa souffrance » écrit St Paul. Et ce qui est assez contradictoire, c’est que beaucoup de personnes divorcées sentent bien que c’est le chemin vers le pardon à l’autre qui va les aider à guérir,  à se relever, à refaire un choix de vie. Ils constatent douloureusement que l’Eglise leur refuse le pardon, alors qu’eux-mêmes ont pardonné ou sont engagé (ou n’y parviennent pas) sur ce chemin. Cela me fais penser à  la phrase du Notre Père «  pardonnes-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés» ! Comment peut-on la lire ?

Il y a un changement à opérer dans la manière de vivre ce sacrement (et sans doute les autres). Si l’on considère les sacrements comme des moyens pour se rapprocher du Christ et donc de nos frères, comme une aide à mieux vivre l’Evangile en faisant tout le bien possible dans notre situation de vie, comme une lumière sur notre route et une nourriture pour nous fortifier, alors nous les recevons comme un don, un « viatique » (une nourriture pour la route) . D’après Amoris laetitia, c’est la disposition intérieure qui rendra possible l’accès aux sacrements. A la suite d’Evangelii Gaudium, le pape écrit : «  je vous rappelle que  le confessionnal n’est pas une chambre de torture » et «  que l’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède pour les faibles » !

C’est particulièrement vrai de l’Eucharistie qui est un «  geste » clairement visible dans la communauté et dont l’interdiction est ressenti comme une exclusion, d’autant plus qu’au nom de cette exclusion beaucoup d’autres exclusions sont pratiquées (être catéchiste, lire à la messe, préparer au baptême,  faire partie de l’EAP …), ce qui pousse certains baptisés engagés dans une nouvelle union à ne pas faire connaître leur situation matrimoniale.

Dans le chapitre VIII, les trois verbes, accompagner, discerner, intégrer, s’adressent d’abord aux communautés. C’est dans un accompagnement largement ouvert à la communauté que peut s’exercer le discernement personnel bien articulé au discernement pastoral, pour une intégration toujours plus pleine dans la communauté partie du corps du Christ et dans l’Eglise-Peuple de Dieu.