Mgr Jean-Paul Vesco

La joie de l’amour

 

Dans la bien nommée exhortation apostolique La joie de l’amour , le pape François appelle à une révolution du regard. Rien ne change de la doctrine de l’Église et pourtant tout change dans la rapport de l’Église au monde. Tout change dans le regard que nous sommes appelés à porter sur les situations humaines toujours complexes et singulières, si souvent blessées et fragilisées. Nous sommes en fait invités à porter le regard que portait Jésus sur les personnes qu’il rencontrait. C’est aussi simple que cela. Et aussi exigeant.

 

Le pape François prévient d’entrée que tous les débats doctrinaux ne doivent pas être tranchés par des décisions magistérielles (3). Il nous appelle aussi à renoncer à chercher ces abris personnels ou communautaires qui nous permettent de nous garder distants du cœur des drames humains, afin d’accepter vraiment d’entrer en contact avec l’existence concrète des autres et de connaître la force de la tendresse (305). A la suite de Jésus qui n’est pas venu abolir la loi de Moïse mais l’accomplir tout en affirmant que le sabbat était fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat, le pape François nous lance sur les chemins de la rencontre en humanité, à mains nues.  Et cela sans renoncer à proposer et à annoncer le plus beau et le plus exigeant du message évangélique inscrit au coeur des aspirations humaines les plus profondes.

 

Concernant la pastorale spécifiques des divorcés-remariés et des personnes en situations conjugales « irrégulières » ni ceux qui l’attendaient ni ceux qui la redoutaient ne trouveront la phrase fatidique autorisant l’accès au sacrement de réconciliation et donc aussi à la communion eucharistique. Et c’est très bien ainsi.

 

Le pape François prévient que si l’on tient compte de l’innombrable diversité des situations concrètes, on peut comprendre qu’on ne devait pas attendre du synode ou de cette exhortation une nouvelle législation générale du genre canonique, applicable à tous les cas (297)..Le Saint Père continue en affirmant qu’un pasteur ne peut se sentir satisfait en appliquant seulement les lois morales à ceux qui vivent des situations « irrégulières » (302). C’est en plongeant au cœur des histoires singulières de chacun, avec pour seule arme la miséricorde de celui à qui il a été fait miséricorde (307) que les pasteurs seront au service de la vérité de l’Évangile.

 

Davantage qu’une loi générale applicable à tous, ce sont des éléments de jugement qui sont donnés. Ils sont très clairs et vont tous dans une même direction donnée en préalable  : La route de l’Église, depuis le concile de Jérusalem, est toujours celle de Jésus : celle de la miséricorde et de l’intégration (…) La route de l’Église est celle de ne condamner personne éternellement ; de répandre la miséricorde de Dieu sur toutes les personnes qui le demandent avec un cœur sincère car la charité véritable est toujours imméritée, inconditionnelle et gratuite (293).

 

Un élément nouveau et essentiel pour l’appréciation de la situation des personnes divorcées-remariées est tout de même apporté : la prise en compte du caractère irréversible de situations matrimoniales et familiales qui ne permettent pas d’agir différemment et de prendre d’autres décisions sans une nouvelle faute (298). Dès lors que personne ne peut être condamné pour toujours parce que ce n’est pas la logique de l’Évangile (294), ce caractère définitif d’une situation ne peut plus être un obstacle insurmontable au sacrement de réconciliation si le caractère objectivement « irrégulier » de la situation est reconnu par la personne, si le travail de vérité a été fait et si la contrition est réelle.

 

Après la lecture de cette exhortation, il ne sera plus possible à un prêtre de répondre  en conscience à une personne divorcée-remariée  :« pardonnez-moi mais en raison de votre situation matrimoniale, je ne suis pas autorisé vous entendre en confession ». Il lui faudra désormais entrer avec elle dans la singularité de son histoire, voir la conscience qu’elle a de ses responsabilités dans la situation qui est la sienne et des possibilités éventuelles de faire évoluer cette situations, le travail de réconciliation et le cas échéant de réparation qui a été entrepris.

 

Au terme d’un tel cheminement, le prêtre que je suis, et pas seulement l’évêque, se sentira autorisé à donner en conscience le sacrement de réconciliation à des personnes qui seraient dans une situation matrimoniale objectivement « irrégulière » devenue définitive mais qui en appelleraient en vérité à la miséricorde de Dieu qui seule nous relève et nous sauve.

 

+  fr. Jean-Paul Vesco op