Interview de Bruno Forte

Le journal « La Vie » a interviewé le père Bruno Forte, secrétaire spécial pour le synode
« François propose la doctrine sans ignorer la réalité des personnes »
Secrétaire spécial du synode sur la famille, ce prélat et théologien livre des pistes de réflexion sur les « blessés de l’amour ».
Est-il possible d’assouplir les conditions d’accès aux sacrements pour les divorcés remariés sans remettre en cause l’indissolubilité ?
B.F. Il est mauvais de réduire la problématique à : va-t-on leur donner la communion ou pas ? C’est une fausse question. La vraie question est celle de l’accompagnement et de l’intégration. L’Église annonce que le mariage est une alliance éternelle rendue possible avec l’aide de Dieu : nous ne voulons pas revenir sur cela. Mais la réalité est que, souvent, il y a des situations de blessure, d’échec, sur lesquelles nous ne pouvons fermer les yeux. Dans ces situations, comment l’accompagnement peut-il aider à l’intégration des personnes dans la plénitude de la vie ecclésiale ? Par la participation à la coresponsabilité pastorale, à travers des services pastoraux, des ministères… Dans cette perspective et dans des situations très concrètes de foi vécue, de désir profond de repentance envers les erreurs commises, la participation à l’eucharistie doit être envisagée comme le but d’une attitude pastorale d’accueil et de miséricorde. Ainsi, le fait de recevoir les sacrements n’est pas la question première, c’est une étape ultime, au sommet d’un chemin. L’erreur des médias est de réduire l’enjeu du synode à la seule question de la participation à la communion.
Mais si vous permettez à certains divorcés remariés de recevoir l’absolution et de pouvoir communier sans renoncer à la conjugalité, cela représente un gros changement théologique…
B.F. Nous sommes en recherche et rien n’est décidé. Mais il me semble que la direction donnée par le pape François est dans cette recherche de miséricorde pour accueillir à l’eucharistie quand il y a conversion, repentance et désir de Dieu, même si ces personnes se trouvent objectivement dans une situation d’amour blessé et d’échec : une personne qui se trouve dans la réalité d’un remariage ou d’une cohabitation après l’échec d’un premier mariage, peut-on penser qu’elle sera condamnée pour toute sa vie à renoncer à l’eucharistie ? Il faut l’aider à être réintégrée par étapes.
En quoi cette idée de réintégration peut-elle changer la discipline dominante dans le passé ?
B.F. Une famille chrétienne qui ne vit pas l’eucharistie dominicale comme sommet et source de son amour risque de perdre sa capacité à s’accueillir et se pardonner. Les sacrements sont une rencontre du Seigneur avec les personnes humaines. Le sacre¬ment n’est pas quelque chose que l’on possède mais Quelqu’un qui vient nous posséder et nous trans¬former par Sa miséricorde et Sa grâce. L’attitude fondamentale du chrétien n’est pas l’activité pure mais la passivité active de l’amour. On peut com¬prendre cela à travers l’expérience d’une femme qui accueille en elle une vie qui se forme dans son corps : l’eucharistie n’est pas une chose, c’est une vie qui entre en nous pour nous transformer, nous remplir par sa grâce, son pardon, son amour, nous aider à être habitation de Dieu et terrain de son amour.

Pour en revenir à « l’attitude de miséricorde » de François, le Jubilé de la miséricorde
est-il une sorte de troisième temps du synode ?

B.F. Si le pape dit que la miséricorde est le cœur de l’Évangile, de la foi chrétienne et de Jésus, de son amour profondément vécu, alors, même dans la situation d’accompagnement et de réintégration des personnes blessées dans leur amour, nous devons proposer et vivre la miséricorde de manière très concrète et réelle. Ainsi, le lien est évident : le Jubilé va proposer à tous d’appliquer concrètement la réflexion du synode à des situations de blessures.

Extrait de l’article proposé par le journal « la Vie » sous la plume de Marie-Lucile Kubacki et Charles Pechipeyrou