Mgr Schonborn

Mgr Schonborn

Pour l’archevêque de Vienne, présent vendredi 8 avril 2016 à Rome pour la présentation à la presse d’« Amoris Laetitia », l’exhortation apostolique marque un changement dans le discours de l’Église.

La Croix : Par cette exhortation, le pape François refuse de trancher les débats dogmatiques et invite à la pratique, très ignatienne, du discernement devant les situations. Mais tout le monde n’est pas jésuite : comment peut-on, en pratique, généraliser le discernement ?

Cardinal Christoph Schönborn : Toute personne doit discerner ce qu’il doit faire et ne pas faire. Le discernement, c’est la base de l’agir humain. Il est obligatoire pour tous. Les parents doivent discerner pour leurs enfants et pour leur propre vie de couple. Un couple qui vit une nouvelle union doit discerner entre eux s’ils veulent entreprendre un chemin de foi, discerner quelle est la volonté de Dieu sur eux, où ils en sont avec leur conscience, comment ils ont vécu les conséquences de leur séparation, comment ils ont traité leurs enfants.

> À lire aussi : Contre tout légalisme, Amoris laetitia appelle au discernement

Le discernement est aidé par l’Église, par la foi, par la prière. Il conduit les personnes à acquérir une personnalité mature. Il ne s’agit pas de former des automates conditionnés par l’extérieur, télécommandés, mais des personnes qui ont mûri grâce à leur amitié avec le Christ. Avec cette exhortation, le pape nous donne une magnifique aide pédagogique et spirituelle pour exercer ce discernement. Il tend la main à tous ceux qui sont en difficulté.

Comment « intégrer tout le monde », comme le souhaite le pape, sans tordre la doctrine ?

Card C. S. : La grande joie que me procure cette exhortation réside dans le fait qu’elle dépasse, de manière cohérente, la division artificieuse, extérieure et nette entre les « réguliers » et les « irréguliers ». Je sais personnellement, en raison de la situation de ma propre famille, combien cette distinction est difficile pour ceux qui viennent d’une famille « patchwork ». Le discours de l’Église peut blesser. Avec Amoris Laetitia, quelque chose change dans le discours ecclésial. Le pape François a placé son document sous le signe d’une phrase conductrice : « Il s’agit d’intégrer tout le monde », parce qu’il s’agit d’une compassion fondamentale de l’Évangile. Nous tous, nous avons besoin de miséricorde.

> À lire aussi : Amoris laetitia, un regard lucide sur le couple et la famille

Ce principe continuel de l’inclusion, bien sûr, préoccupe certains. Cette exhortation ne favorise-t-elle pas un certain laxisme ? Clarifions cela : le pape ne laisse planer aucun doute sur ses intentions et sur notre devoir. Il est convaincu que la vision chrétienne du mariage et de la famille a encore aujourd’hui une force d’attraction inchangée. Mais il exige une « salutaire réaction d’autocritique » et regarde les familles telles qu’elles sont. Ce sobre réalisme ne nous éloigne pas du tout de l’idéal ! Le pape a une profonde confiance dans les cœurs. Il évoque souvent la confiance dans la conscience des fidèles. C’est pourquoi le concept-clé de ce grand document, la clé pour comprendre correctement les intentions du pape François, c’est le discernement personnel, surtout dans les situations difficiles complexes. C’est ainsi que se forme la conscience.

Sur les divorcés remariés au civil, le pape le dit à cet égard avec clarté : il faut seulement un nouvel encouragement au discernement responsable personnel et pastoral des cas particuliers. Ils étaient nombreux ceux à attendre une nouvelle norme. Ils resteront déçus. Dans ce document, le pape n’innove pas mais développe la doctrine, sans rupture.

Recueilli par Sébastien Maillard (à Rome)